Selfie, autoportrait d’un runner d’aujourd’hui

Runners taking a selfieDifficile d’y échapper, le selfie envahit l’écran, prenant d’assaut les réseaux sociaux. Selon une étude récente, 17 % des hommes et 10 % des femmes s’adonneraient régulièrement à cette pratique. Cette mode de l’autoportrait photographique n’épargne pas la communauté running, bien au contraire.

Instagram, Twitter, Facebook, … Pas une seule journée sans voir la trombine transpirante d’un runner en mal de reconnaissance.

Cette mise en scène de sa propre image est assez emblématique de l’individualisme grandissant de la société dans laquelle nous évoluons et d’un besoin omniprésent d’exister à travers le regard de l’autre.

Le phénomène selfie s’universalise, devenant ainsi la norme d’un monde toujours plus centré sur l’égo. Acteurs, chanteurs, personnalités politiques, même le pape … Personne ne résiste à cette déferlante d’autopromotion plus ou moins maîtrisée.

L’impudeur de certains clichés fait pourtant froid dans le dos. L’exhibitionnisme morbide faisant l’apologie de la maigreur sous couvert d’une vie régie par le sport et une alimentation « saine » est un phénomène alarmant qui se développe chez une certaine catégorie de coureurs.

Il n’est pas rare de tomber sur quelques autoportraits de jeunes femmes n’hésitant pas à se montrer en sous-vêtements, affichant fièrement leur ventre plat et leurs fesses rebondies, fruit d’un travail acharné fait de restrictions. Tout ça pour quoi ? Dans l’espoir de récolter quelques « likes » et commentaires flatteurs d’une audience toujours à l’affût et cherchant à assouvir des fantasmes voyeuristes.

Fort heureusement, cela reste marginal et le plus souvent, les auteurs se contentent de se photographier avant, pendant et après l’effort, fiers d’apparaître aux yeux de leurs « amis » comme ayant accompli l’exploit de courir 10 km … Une montre GPS, un temps, une distance et un pouce levé, comme étendard d’une victoire sur eux mêmes.

Les bénéfices de ce genre de pratique sont discutables. Si cela peut permettre à certains de développer une meilleure estime de soi, cela soulève tout de même quelques interrogations. Ce besoin permanent de partage virtuel ne serait-il pas finalement le signe d’une grande solitude ? Difficile de croire au portrait social comme vecteur permettant d’aller vers l’autre …

Le selfie running fait émerger une nouvelle manière de pratiquer son sport. Déconnecté de la réalité, le bras tendu pour se tirer le portrait, la course à pied se définit alors à travers le prisme d’un Smartphone, dans l’unique but de se valoriser auprès de sa communauté.

La mise en scène permanente de cette vie centrée sur soi participe à faire de l’auteur le héros de sa propre vie. Le selfie est alors une source de motivation qui permet à ces nouveaux coureurs connectés de se singulariser et d’exister aux yeux d’un monde impalpable et dématérialisé.

Ici, nous sommes loin de la sagesse japonaise de Murakami et de son Autoportrait de l’auteur en coureur de fond. Le selfie running bouscule les conventions, faisant sombrer inlassablement ce qu’il restait d’humilité et d’abnégation dans la pratique d’un sport aux vertus pourtant séculaires.

Sébastien Réby 

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